French
2000
L’ÉCRITURE EN MIROIR DU MOI
in Perceptions et réalisations du Moi (pp. 253-66)
EXCERPT

On pourra juger de la gageure qui consiste à vouloir traiter d’un texte qui s’assimile à un numéro de haute voltige — d’un texte qui, centré sur une analyse, s’auto-analyse en l’analysant, avec un brio bien difficile à égaler. Si l’on considère qu’au surplus, l’auto-analyse intradiégétique que constitue le roman dans son ensemble (III, 222/274) se redouble hors diégèse dans un article qui trouvera lui-même son propre écho critique (1), on comprendra que cet ouvrage n’ait pas fait l’objet d’un nombre appréciable d’études : en apparence, il n’est pas laissé au chercheur de quoi se satisfaire, l’auteur même en a trop dit.

Justement, pourquoi tant ?

Par ces redoublements réflexifs, ces enroulements successifs, Serge Doubrovsky semble s’être prémuni contre toute intrusion extérieure, selon un principe d’auto-théorisation (2) où il devient possible de discerner un réflexe de défense : acrobatique, l’écrivain se hâte de colmater ses interstices, s’appropriant plus pleinement son personnage derrière un mur critique de plus en plus élevé, voulu peut-être impénétrable. Il ne reste dès lors plus grand choix au chercheur, si ce n’est celui de réaliser cela seul que toute la virtuosité de l’auteur ne saurait permettre à celui-ci : soit longer le mur de l’extérieur, avec pour objet de jauger l’aspect auto-réflexif en soi (3) non plus de son centre mais de sa périphérie, c’est-à-dire d’une position qui n’est pas celle du sujet (4).

Ce n’est donc pas une thèse à démontrer qui pourra structurer cet article, qui n’entend pas non plus reprendre Fils dans sa linéarité narrative, mais qui plutôt tentera de mettre au jour le présupposé psychanalytique qui sous-tend l’écriture même lorsque l’analyse n’est pas mise en scène textuellement.

 


(1) Plusieurs années ayant passé, « L’initiative aux maux : écrire sa psychanalyse » (Parcours critique, pp. 165-201) se trouve répercuté par « Autobiographie / vérité / psychanalyse » (Autobiographiques, pp. 61-79). Ces deux textes de théorisation sont mis en parallèle dans « Textes en main » (Autofictions & Cie, pp. 207-17). Nous aurons l’occasion de revenir sur ces écrits.

(2) Robin, Régine, « L’autothéorisation d’un romancier : Serge Doubrovsky » in Études françaises 33.1 (printemps 1997), pp. 45-59.

(3) Le retour sur sa propre critique s’avère déjà miroir révélateur pour l’auteur (Autobiographiques, pp. 6-7). De même, lors d’une lecture donnée le 7 mars 2000 à la Maison Française de New York University, Serge Doubrovsky aura-t-il avoué sa surprise à la relecture de Laissé pour conte, dont le contenu n’était pas celui qu’il avait pensé y déverser. Même surprise à la reprise d’anciennes lettres : le reflet de soi offert par l’écrit diffère de celui conservé par le souvenir, tel que fixé seulement par la mémoire.

(4) Le présent article se veut le développement d’une allocution faite le 24 mars 2000 à New York University, à l’occasion du colloque Lecture/Écriture. Le 1er avril suivant, à l’occasion d’une table ronde sur l’autofiction (University of Pennsylvania, Twentieth Century Conference) réunie par Renée Kingcaid, Serge Doubrovsky déclarait ne prétendre à aucune supériorité théorique sur sa propre œuvre, au contraire d’un Sartre ou d’un Robbe-Grillet. Simplement, il entendait baser l’originalité de ses propos critiques sur le point de vue propre au scripteur. S’il sera beaucoup revenu sur Fils au cours de sa carrière, c’était pour tenter d’expliquer, d’exposer l’autofiction ; le terme admis (voire galvaudé), le théoricien s’effaça derrière l’auteur. Sauf que Jacques Lecarme accuse cet auteur même de prendre ses distances avec l’autofiction. D’autre part, si le terme se trouve déjà « galvaudé », c’est qu’il est moins un terme encore qu’un mot en quête de définition — raison pour laquelle Serge Doubrovsky sera revenu sur ses explications à plusieurs reprises, à plusieurs années d’intervalle. Ce n’est donc pas qu’il n’ait veillé que sur une enfance de l’autofiction ; tous contes faits, la diminution de sa production théorique regardant ce « genre faux » semble coïncider simplement avec la diminution globale de sa production critique. Devrait-il écrire de nouveaux essais, il y a fort à parier que l’autofiction se verrait en tête des sujets traités.